La Vapotroën

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Les moteurs à combustion interne à essence sont bien connus chez Citroën. On pourrait en dire autant pour les moteurs diésel. Ici, en Amérique, ce n’est pas le prix de l’essence qui motive certaines modifications sur les voitures, c’est le génie créatif.
Presque personne ne conduit une voiture à vapeur, pratiquement personne dans ce pays ne conduit une Citroën, certes, alors il y a encore moins de chance pour que quelqu’un conduise  une Citroën à vapeur! Mais s'il y avait un terrain inexploré qui aurait fait peur à la plupart d’entre nous, ce n'était pas dans le cas de Mike Ormiston, ni de Karl Petersen, quand ils ont commencé le projet de construction d’un tel véhicule.
Mike voulait un break qui serait écologique pour faire le tour du sud-ouest des États-Unis avec ses filles alors adolescentes. Le fait de ne laisser qu'une infime trace de son passage dans l’environnement était dans les exigences de Mike, un peu à la manière des indiens (amérindiens). Alors, avec un véhicule ayant un taux de pollution très bas, c’était la solution appropriée. Le look de la voiture tenait aussi à Mike. Il ne fallait pas qu’elle ressemble à ses consœurs crachant la pollution, ni même à une Citroën originale. Malgré tout elle devait être compacte, fiable et « intéressante ». Mike était convaincu qu’avec un travail correct sur la voiture, elle deviendrait rapidement très fiable. Après avoir demandé à Richard Smith de confectionner  une auto rencontrant ses exigences, celui-ci essaya de convaincre Mike qu’avec un si petit budget, c’était trop demander. Alors Mike passa au plan B, demander à Karl Petersen. Il lui répondit que malgré qu’une bonne partie de l’aventure demanderait plusieurs adaptations, des machinistes et/ou des entreprises de réfrigération pourraient s’occuper de la réparation ou du remplacement des pièces s’ils pouvaient leurs fournir des dessins récupérés dans des volumes de référence ou bien correctement faits à la main. 
Ainsi, en avril 1973 le projet débutât. Karl ouvrit un compte de banque  au nom du projet, il loua ¼ du local de machiniste de John Peterson et démonta entièrement la voiture pour ensuite la reconstruire selon les spécifications. Il faut dire que le squelette d’une Citroën complètement dépouillée est assez étrange à voir, cette mise à nue était facilitée par l’ingéniosité des concepteurs avec très peu d’opérations à effectuer avant la nudité totale.  Les plans de reconstruction ayant été faits d’avance, ils purent faire en même temps la reconstruction de la caisse et la construction-installation de la mécanique.
Dans l'attente d'un mode de vie moins mouvementé, Mike avait vendu son cabinet de radiologie et fut en mesure de financer le projet avec un budget de 20 000$. Ça incluait le recarrossage de la caisse en même temps que la construction de la mécanique. Karl remarqua que les travaux de carrosserie ou ceux de mécanique consommeraient tout l’argent, et ce, même si on était dans les années 70. Mike a insisté pour que les deux soient créées et développées en parallèle, ce qui coûta 30 000$. Tous les travaux ont été interrompus (1976) lorsque le comptable de Mike insista, car le projet n'était pas approprié pour le réinvestissement du capital et de l'IRS (département du trésor aux USA : taxes) qui fit disparaitre toute chance de terminer le projet, même s’il était complété à 90%. Voici les détails techniques de leur projet.
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Le choix de la voiture
En choisissant une voiture pour la conversion, Mike a noté la simplicité de la Valiant et ses cousines, en grande partie en raison du moteur six cylindres penché (nommé slant six en anglais. Un 225 pouces cube qui équipait de base une foule de véhicules Chrysler dont, par exemple, la Duster, la Challenger et la Dart) Malheureusement l’avantage du moteur n’était pas à considérer car il fallait l’enlever de toute façon. Mike a accepté la suggestion de Karl sur le confort et la souplesse de la Citroën particulièrement attrayants pour les longs trajets. Ils fouillèrent les  offres de vente pour  une fraîche et propre station-wagon. Ils en trouvèrent une de 1968 en Arizona avec un moteur endommagé.  C’était parfait.
Pendant la recherche de la station-wagon, une berline Citroën a été instrumentée à Santa Ana pour le débit d'air et la pression afin de déterminer le meilleur emplacement pour le radiateur. La pression d'air était faible à partir du bord avant du capot,  tout le long du capot jusqu'au pare-brise et sur le toit. Le point de pression la plus élevée était directement sous le nez de la voiture. Bien qu'aucun autre constructeur automobile n’ait placé leur prise d'air à ce point, c'est exactement là où le conduit d'admission d'air est situé sur la Citroën de série. Le point de pression le plus bas sur la voiture était juste à l'arrière du compartiment moteur, sous les pieds du conducteur.
Comme il n'y avait aucune nécessité de placer les radiateurs à l'avant du compartiment moteur et y faire rentrer l'air chaud sur l'équipement, les radiateurs ont été placés dans un boitier à l'arrière du compartiment moteur. L'ensemble du compartiment a été conçu  en tant que chambre à air sous pression dynamique à partir d'un conduit d'entrée derrière le pare-chocs avant, et la sortie d'air du radiateur a été canalisée par le capot à l'arrière du compartiment moteur, à droite au  fond par les pieds du conducteur. Ainsi, l'air chaud provenant du radiateur est maintenu loin du compartiment moteur.
L’unit avant originale était assez grande. La position de la roue de secours  étant en face du radiateur avec la transmission sous le radiateur et le moteur à l'arrière. Dans le cas d'une collision frontale, cette longueur supplémentaire fournie près de trois pieds dans la zone d'écrasement avant  que le radiateur ne soit touché. Avec tout l'équipement moteur à combustion vidé, l'espace était énorme, surtout lorsqu'on la compare à une Valiant. Karl et les mécaniciens se sont échangés leurs photos, tout en positionnant l’équipement sous le capot.  Le réservoir de carburant d’origine était dans un caisson sous la banquette arrière, tandis que le silencieux  a été niché dans un creux sous le siège avant. Cet espace sous le siège avant était  suffisamment volumineux pour qu’on installe un réservoir d'eau semblable au réservoir d’essence.
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Le plancher avant avait à l'origine une restriction substantielle car l'arrière du moteur va se coller sur le mur pare-feu à hauteur du tableau de bord côté unit avant. Bien que cela soit parfaitement recouvert de moquette, et le sol étant plat, sans la bosse de transmission, il y a deux cavités distinctes, une pour le conducteur et l’autre pour le passager. Avec la nouvelle position du radiateur, la bosse entre les cavités a été supprimée et le sol est devenu plat sur toute la largeur. La place pour les pieds est si vaste qu'il donne un sentiment bizarre, comme ne pas porter la ceinture de sécurité quand on y est habitué.
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L'équipement de chauffage, de condensation et l'hydraulique est installée.
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Le moteur

Karl a travaillé activement sur ​​le matériel pour automobile à vapeur depuis 1966, et avait construit un certain nombre de moteurs et générateurs de vapeur pour des voitures et des bateaux, souvent conjointement avec Richard Smith, dans les sept années qui ont précédé 1973. Après avoir réalisé une année de développement du moteur à vapeur à la Edwards Development Center de Santa Ana, Karl a conçu un moteur basé sur les principes les plus avancés des « bash-valves » (valves ouvertes par un arbre à cames) de l'époque, en se fiant sur les contributions de Richard Smith et Peter Barrett, le peloton de tête du développement de la vapeur pour les  voitures en Californie du Sud. La base pour le moteur était un Mercury Marine à vilebrequin, bielles et pistons qui, normalement, avaient place dans un moteur hors-bord  de 62 pouces cubes et quatre cylindres. Le bloc moteur et le carter furent fabriqués à partir de tôle d'aluminium usiné et fini dans la boutique de Peter Barrett par Phil Barrett et Karl. 
Des chemises en fonte ont été commandées pour s'y adapter. Ces cylindres ont été percés pour les orifices d'échappement du système Uniflow. Au début, aucune modification n’était prévue pour les pistons en aluminium du moteur Mercury. En revanche, le moteur à vapeur  fonctionne à de si hautes températures qu’il fait fondre l’aluminium, c’est pourquoi des appliqués de composés laminés céramique-fer ont été développés  après les premiers essais. Les vannes ont été mises sur le banc chez Smiths avant l'accouplement avec la boîte de transfert.
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Valve de démarrage rotative
L’utilisation d’une double action Stephenson lie un moteur tel que le Stanley ou le Doble, démarrera en douceur dans les deux directions, par contre le moteur à  « bash-valve » a une admission très étroite par cette valve ce qui résulte en un coup sec à chaque ouverture.  Il fonctionnera bien dans les deux sens cependant le portage doit être symétrique. Avec un tel moteur il y a deux façons de le démarrer pour qu’il puisse avoir une bonne puissance à basse vitesse. Sur une conversion moteur à combustion interne, vous pouvez conserver le démarreur, la boîte de vitesses et l'embrayage. Ensuite, vous démarrez le moteur avec le démarreur, mais vous devez le laisser tourner au ralenti et utiliser les engrenages. Dans ce cas, une valve vapeur de distribution rotative a été choisie pour démarrer le moteur du bon sens en laissant passer la vapeur dans une longue course créant ainsi un couple plus grand sans changer de vitesse. Cette valve a été développée par Richard Smiths pour la conversion de son moteur Mercury après que les soupapes à manchons rotatifs se soient avérées être endommagées par les trop fréquents débris du système de vapeur. Des démarreurs à air comprimé pour les moteurs contenant de l’huile, tel que les moteurs diésels, ont aussi été une source d’inspiration bien qu’il ne soient pas utilisables pour les moteurs à vapeur.
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Le générateur de vapeur
Un long monotube fait à partir d’un tuyau de fer fut la solution économique. L’efficacité relativement faible de cette bobine de transfert de chaleur par radiation pouvait être constituée dans  l’échappement par un élément à ailettes si l’économie le demandait. Un brûleur à buse pulvérisatrice sous pression accouplé avec un ventilateur électrique créait la flamme. L'efficacité maximale du brûleur était atteinte à plein gaz, et les baisses de régime ne réduisaient que le combustible donc l’air en excès était poussé par le ventilateur. Le contournement du combustible était effectué par le contrôle de l’excès de chaleur, donc fonctionnait de temps en temps. Le contrôle de surchauffe, effectué par la dilatation du tuyau de vapeur dans son dernier passage au-dessus de la flamme en liaison directe avec un étrier externe, était relié à un commutateur actionnant la coupure du brûleur pour éviter la surchauffe.
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La propulsion
Aucune boite de vitesse n’était nécessaire. Ayant la valve rotative de démarrage et la « bash-valve » pour la montée en vitesse, un entrainement à rapports fixes fut utilisé. Trois chaînes #40 transmettaient la puissance du vilebrequin jusqu’au différentiel. Mais les chaînes ne sont-elles pas une source de bruit à haute vitesse direz-vous? Bien sûr. Par contre, chacun des 3 pignons ont été contrebalancés à 1/3 de dent, diminuant, par la même occasion, la vibration de 1/3, et augmentant la fréquence de résonnance du bruit par 3, donc plus facile à étouffer par l’huile dans le boitier huileur de la chaine. Des chaînes silencieuses ou des chaîne de type Morse HyVo auraient été plus silencieuses mais n’auraient transmises aucun couple supplémentaire en plus d’avoir des coûts d’installation et de maintenance beaucoup plus élevés. La transmission à chaîne retenue fut installée dans un boitier en aluminium qui transmettait la puissance directement sur l’essieu entre les 2 disques de freins avant surdimensionnés Citroën.
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La condensation
Bill Besler a affirmé catégoriquement qu’il n’y avait pas assez de place dans l’unit frontale pour le nombre de radiateurs nécessaire à la condensation des vapeurs d’une voiture à vapeur. En fait il parlait de condenser la vapeur directement dans un radiateur en avant de l’auto, et il avait raison en tenant compte des techniques de 1903, mais aujourd’hui avec l’efficacité accrue des radiateurs et du liquide refroidissant circulant dans le moteur, c’est autre chose. La condensation par vaporisation et le refroidissement de l’eau chaude résiduelle en la faisant circuler immédiatement dans le radiateur permet à celui-ci d’être plus petit mais dégageant plus de chaleur car le transfert de chaleur se fait plus efficacement à l’aide du passage de l’eau dans le radiateur à la place de la vapeur. Cette vaporisation provient d’une pompe à palette dans ce cas.
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Les fonctions auxiliaires
Les fonctions auxiliaires de conduite furent problématiques pour toutes les voitures à vapeur. Quant la vitesse est élevée, les composantes tournent à plein régime, par contre en montant une côte ou en roulant paisiblement dans une parade, la puissance, la ventilation et la circulation des fluides est inadéquate. Dans l’espoir de garder une régularité entre 5 et 150 Km/h, une transmission à variation continue (comme sur la plupart des Nissan) fut utilisée. Des masselottes changent le ratio de la courroie de transmission donnant plus de « jus » aux organes auxiliaires en basse vitesse puis allant jusqu’à la « direct drive » (ratio 1 :1)  lors des vitesses élevées. Ce concept fut utilisé pour les génératrices marines mais d’après le manufacturier Salisbury, c’était la première fois que ce principe était utilisé dans une voiture automobile. Un concept similaire de transmission fut installé dans la voiture qui a battu le record de vitesse de Jim Crank avec grand succès. Même si d’autres difficultés surgirent à chaque nouvel essai, Barber battut ce record de vitesse en 1906 avec cette même voiture. La pompe circulatoire décrite plus haut nourrissait une pompe triplex double action de marque Cat. 
Il y avait une demi-douzaine de pompes potentielles pour ce travail sur le marché mais la pompe Cat fut choisie pour la disponibilité de ses pièces et son service aisé. Elle demandait une lubrification des tiges de pompage ce qui aurait été inacceptable dans une auto « normale » mais excusable pour ce projet. Un alternateur 12 volts Motorola alimente une grosse batterie 12 volts. Ça donne un bon coup pour alimenter la pompe auxiliaire ainsi que la pompe pulvérisatrice à essence. Il y a la climatisation dans la voiture.  La pompe Citroën, quant à elle, sert aux  organes hydrauliques : suspension, freins et direction assistée.
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La finition
                                  
Avant la rencontre du Boise SACA de 1979, le travail fut arrêté malgré qu’il restât à compléter certains travaux sur le développement du système. Ça comprenait : filage de l’électricité, la tubulure pour la vapeur et la refonte du collecteur d’échappement  qui fut fabriqué avec des soudures molles (basse températures) par un plombier qui ne pouvait pas croire que la vapeur monterait tellement haute en température qu’elle ferait fondre ses soudures! Ça confirme qu’il y a des plombiers et des « techniciens en plomberie pour machines à vapeur »! Un support pour derrière le moteur reste encore à installer ainsi que l’isolation du compartiment moteur à fabriquer. La carrosserie a été peinte et  habillée mais la devanture et l’intérieur restent à compléter. L’apparence de certains items doit être révisée puisque la voiture est remisée depuis 1976. Sachant que les organes de transmission fonctionnèrent adéquatement lors des essais, il sera intéressant de  voir  leur efficacité sur la voiture une fois installés.
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Il est regrettable que le travail n'ai pas pu être terminé. Cette DS est resté remisée dans un garage jusqu'à maintenant. Elle a été exposée à l'exposition de la SACA en 1979.   Steam Automobile Club of America voici le lien steamautomobile.com
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De nombreux éléments mécaniques trahissent l'origine de cette DS (direction, support moteur, bloc chauffage) Le compresseur de climatisation est un York, qui sera identique au compresseur européen quelques années plus tard.
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Ce qui est très impressionnant, c'est la dimension du moteur. Comparé à un moteur classique il n'est pas plus gros qu'un classique 3 cylindres de 600 cm³! La pompe HP semble disproportionnée ! Le support du bac à batterie a été positionné quasiment à l'endroit d'origine.
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Le gros cylindre devant la DS est un générateur de vapeur. C'est l'organe le plus exposé en cas de choc. Si un accident survenait, on imagine sans peine le côté "spectaculaire" d'une explosion de vapeur!
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Voici les dernières photos de cette DS "extraordinaire", elles datent de 1998. Souhaitons qu'elle puisse un jour être terminée et qu'elle puisse enfin reprendre la route.